Les tribunes de l’abbaye de Saint-Michel de Cuxa et du prieuré de Serrabona sont à la fois jumelles et uniques en France, n’ayant pas vraiment d’équivalent dans le pays. Plus exactement, pour continuer à filer la métaphore familiale, celle de Serrabona doit être la petite sœur de celle de Cuxa.
Elles présentent les mêmes caractéristiques :
- une position à la jonction de la nef et du chœur, dont elles constituent la porte d’entrée,
- une composition symétrique de trois travées, se développant en profondeur sur deux travées et dotées de deux niveaux : le niveau de sol : celui-ci, couvert de voûtes d’arrête dotées de faux-arcs ogifs, est fermé, côté chœur, par une paroi percée au centre d’une ouverture ; l’étage, est une tribune protégée, côté nef, par une balustrade ajourée accessible depuis un escalier implanté côté chœur,
- une fonction, qui doit être proche de celle des jubés plus tardifs : abritant, au niveau inférieur, deux autels latéraux implantés de part et d’autre du passage central ; dédié vraisemblablement, à l’étage, au chant et/ ou à la prédication.
- un matériau, le marbre. D’origine locale (marbre de Bouleternère), celui-ci est employé pour les élévations, les supports (chapiteaux et colonnes) et les faux arcs ogifs. Le reste, c’est-à-dire, les six voutains, étant en moellons de schiste (enduits et peints à l’origine).
- une iconographie similaire.
Les partis de restauration ont été adaptés au contexte et aux vestiges, fruit de l’histoire de chaque monument. Les conditions de conservation et de présentation sont radicalement différentes pour les deux tribunes.
La tribune de l’abbaye Saint-Michel de Cuxa
- Aucun élément n’est encore en place, la tribune ayant été entièrement déposée.
- Les vestiges sont très lacunaires : pour l’essentiel, ils proviennent de son élévation principale, avec quelques éléments appartenant aux faux arcs ogifs.
- Les vestiges ont été dispersés, dès le début du XXe siècle : certains éléments sont au musée des Cloisters à New-York ; d’autres ont été remontés à divers endroits dans l’abbaye même, à des emplacements différents de leur localisation d’origine (chapiteaux remontés dans le cloître ; arc et écoinçons d’une travée réutilisés par Sylvain Stymm- Popper, ACMH, comme encadrement d’une porte plus ancienne, visible sur un plan du XVIIIe siècle et servant de communication entre l’église et le cloître)
Une présentation de type muséale (présentation décontextualisée)
Ces vestiges ont fait l’objet d’une thèse soutenue par madame Anna Thirion. Une proposition de restitution des éléments conservés a été faite dans le cadre de cette thèse.
Une présentation des vestiges dans un lieu, différent de l’emplacement d’origine
Celui-ci, le logis du Grand sacristain a été spécifiquement choisi et aménagé pour les accueillir et les mettre en valeur :
- Les vestiges de la tribune seront installés à l’étage, qui est le niveau principal de circulation dans le monument.
- Le volume retenu présente une grande hauteur sous charpente. Cette ampleur, relative, du volume intérieur destiné à accueillir les éléments présentés permet de se rapprocher, autant que faire se peut, de l’échelle du volume initial (la nef de l’église).
Présentation permise par les vestiges subsistants
- Seule l’élévation principale et deux faux arc ogifs d’une travée peuvent être présentés. L’évocation de l’emprise du volume d’origine passera par une matérialisation au sol des supports et une projection des arcs des voûtes.
- Une pose à sec des différents éléments est projetée, afin de ne pas entretenir de confusion avec un ouvrage maçonné en place.
- Des compléments de nature différente : les vestiges seront insérés dans une structure en acier. Celle-ci, destinée à tenir l’ensemble et à prévenir d’éventuels mouvements dus à des secousses sismiques, sera mise en place à l’arrière de la façade. Elle remplira à la fois le rôle d’ossature porteuse et de cadre de présentation des vestiges. Le marbre pourra être utilisé, ponctuellement et pour de petites lacunes.
- Une présentation d’une restitution graphique en 3D est prévue. Elle permettra de présenter ce que pouvait être la tribune lorsqu’elle était intacte et dans son emplacement d’origine.
La tribune du prieuré Sainte-Marie de Serrabona
Cette tribune se présente de manière très différente de celle de Cuxa :
- La tribune est dégagée dans les années 50, par Sylvain Stymm-Popper ACMH, du mur qui avait été édifié au-dessus d’elle et qui fermait le monument. L’architecte reconstruira d’ailleurs le volume de nef qui avait disparu.
- La tribune est restée « in situ ». L’étude de l’ouvrage a montré que sa position actuelle est celle d’origine. Elle était complète pour l’essentiel. Les seuls vestiges de la balustrade lacunaires et dispersés étaient ceux de la balustrade.
La restitution de la balustrade
L’un des objectifs de l’opération était de présenter les éléments restants de la balustrade, le second était une intervention minimale, consistant pour l’essentiel en un nettoyage des parements en marbre, le dernier portait sur la mise en valeur de la tribune, avec la réfection des enduits qui couvraient originellement les voutains en moellons de schiste et la mise en place d’un éclairage convenable. Les travaux portant sur les points deux et trois sont actuellement en cours.
Choix de présentation :
- muséale, séparée de la tribune (cette solution, qui a fait l’objet d’une étude préalable, a été abandonnée car jugée inadaptée au contexte).
- remontage de la balustrade sur la tribune qui permet d’assurer leur conservation et de retrouver les proportions d’origine de la tribune.
Position des vestiges de balustrade sur la tribune :
Les vestiges
- lacunaires
- position des piliers. Précisée lors de l’étude : hauteur des montants variable en raison d’une « anomalie » de l’assise portant la balustrade, qui présente un certain pendage permettant de ne pas être interrompue lors de la jonction avec une grande arcade de la paroi nord de la nef, et de l’hypothèse vérifiée que la main courante devait, elle, être bien horizontale comme le reste des autres assises. Cette vérification a permis de vérifier que la dernière assise en place est bien celle qui portrait la balustrade
Les compléments neufs
- Choix du matériau : favoriser visuellement leur insertion par l’utilisation d’un marbre local (issu de la carrière désaffectée de Castelnou, prélèvements de surface)- utilisation d’un autre matériau (verre moulé), un moment envisagé, abandonnée.
- Présentation : reprise des volumes simplement épannelés, sans reconstitution de décor (inconnu)
La méthodologie
- Étude conduite à l’échelle grandeur, en collaboration avec l’entreprise PY.
- Montage à blanc, pour vérifier la pertinence des assemblages pressentis
- « Empreintes » prises sur les fragments de main courante pour mise en place de greffes sans retaille des vestiges
La restauration des parements
- Parements en pierre de taille : nettoyage uniquement ; restauration minimale, sans restitution ni reprises (joints ou ragréages), hormis celle du joint grossier au ciment de l’assise placée sous la balustrade
- Voutains en moellons de schiste : réfection d’un enduit à la chaux aérienne1
Conclusion
L’intervention pratiquement concomitante sur ces deux tribunes présentait un intérêt particulier pour deux raisons. Ces deux tribunes sœurs, si proches qu’elles paraissent nées d’une seule et même main et avoir été conçues par un même esprit, n’ont aucun réel équivalent en France ou, même, dans l’aire hispanique. Par ailleurs, malgré ces très grandes similitudes stylistiques, l’état dans lequel elles nous sont parvenues, en raison de leur histoire, est tellement dissemblable qu’il a conduit à chercher des solutions de conservation et de présentation radicalement différentes, sous la forme d’une restitution partielle d’une partie disparue pour l’une (tribune du prieuré de Serrabona) et d’une présentation de type muséal pour la seconde (tribune de l’abbaye de Cuxa).
Cette démarche double met en lumière le fait que la résolution des questions de conservation-restauration et l’élaboration puis la mise en œuvre des protocoles qui en découlent n’épuise pas le sujet du projet de restauration. Celui-ci reste toujours, in fine, la résultante d’un parti architectural dépendant également de la sensibilité du maître d’œuvre (aussi argumentée et prudente que puisse être la solution retenue par ailleurs).
Pour en savoir plus sur les tribunes-jubés de Cuxa et de Serrabona l’article d’Olivier Poisson
- l’ensemble des parements intérieurs était enduit à l’origine, ces parements enduits étaient ornés d’un décor peint dont il subsiste un vestige sur la paroi sud du chœur. ↩